« A ce jour, nous n’avons pu mener les investigations que sur la petite corruption qui nous donne 10 milliards de Fcfa de pots de vin par an. Mais ce qui gangrène le plus, c’est la grande corruption qui est difficilement chiffrable. Cette grande corruption ferait perdre au Togo 25% de son PIB ». Tels sont les propos de l’ancien directeur de la Haute Autorité de prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HAPLUCIA) à l’occasion de la journée internationale de lutte contre la corruption édition 2022. Ce qui démontre la gravité et la profondeur du phénomène au Togo.
La corruption, souvent qualifiée de « cancer du développement », constitue l’un des principaux obstacles au progrès économique et social au Togo. Ce phénomène, qui s’est enraciné dans le quotidien des citoyens et des institutions, se manifeste par des pratiques variées : détournements de fonds publics, fraudes administratives, pots-de-vin ou favoritisme. Selon les rapports de Transparency International, le Togo figure régulièrement parmi les pays où la corruption est perçue comme élevée, avec des indices qui soulignent la persistance de ce fléau malgré les engagements affichés par les autorités. Selon le rapport de 2023, le Togo occupe la 126ᵉ place sur 180 pays, avec un score de 31/100, bien en dessous de la moyenne mondiale de 43.
Le coût de cette corruption est immense. Des milliards de francs CFA s’évaporent chaque année, privant le pays de ressources essentielles pour investir dans des infrastructures, renforcer les systèmes de santé et d’éducation, ou encore soutenir les populations les plus vulnérables. Par exemple, des fonds publics destinés aux projets sociaux se perdent souvent dans des circuits opaques, laissant des écoles sans bancs et des hôpitaux sans médicaments.
Face à cette situation, des initiatives ont été lancées, notamment la création de la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HAPLUCIA) en 2015, ainsi que l’instauration de mécanismes de contrôle au sein de l’administration publique.
Le Togo intensifie sa lutte contre la corruption
Depuis plusieurs années, des initiatives ont été mises en place pour renforcer la transparence et promouvoir une gestion rigoureuse des ressources publiques.
Pour structurer cet engagement, le gouvernement a créé des organes spécialisés, notamment la Haute Autorité de Prévention et de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HAPLUCIA). Depuis sa création en 2015, cette institution mène des campagnes de sensibilisation, réalise des enquêtes et propose des réformes visant à prévenir et sanctionner les pratiques corruptives. En parallèle, la Cour des comptes joue un rôle essentiel dans le contrôle de la gestion des fonds publics, en publiant régulièrement des rapports sur l’utilisation des ressources étatiques. Sur le plan législatif, des avancées significatives ont été réalisées. La sensibilisation occupe une place de choix dans cette stratégie. Le Togo a également mis l’accent sur le renforcement des contrôles financiers à travers des audits réguliers dans les institutions publiques. Ces contrôles sont accompagnés de sanctions administratives et judiciaires en cas de détournement de fonds ou de mauvaise gestion. Par ailleurs, des formations sur l’éthique sont organisées pour les fonctionnaires.
Cependant, l’impact reste limité. Les réseaux d’intérêts, le manque de sanctions exemplaires et l’absence de volonté politique forte freinent les progrès attendus. Dans ce contexte, les technologies numériques et le renforcement de ces technologies émergent comme une solution potentiellement révolutionnaire.
Le E-gouvernement : une gestion centralisée et transparente
L’utilisation des plateformes numériques dans les services publics peut générer des économies significatives. Selon une étude de la Banque mondiale, les pays ayant pleinement adopté l’e-gouvernement ont réduit leurs pertes dues à la corruption de 20 à 30 %.
L’administration électronique peut réduire la corruption en transformant la manière dont l’administration conduit ses activités courantes en interne et ses relations externes avec les acteurs non étatiques. Les projets d’administration électronique, tels que les systèmes de demande de services administratifs en ligne, réduisent les contacts personnels entre agents publics et acteurs non étatiques, ce qui limite la possibilité pour les agents publics corrompus d’agir de manière discrétionnaire ou de prendre des décisions arbitraires.
Le Togo depuis quelques années amorce la transformation digitale de son administration. Toutefois, malgré ces avancées, des défis subsistent. L’application des lois reste souvent faible, et la perception publique de la corruption demeure élevée, particulièrement dans des secteurs sensibles comme la justice et les douanes. Le manque de ressources financières et humaines pour les organes de contrôle représente également un frein à une lutte efficace contre ce fléau. Dans ce contexte, les technologies numériques offrent une nouvelle opportunité de transformation.
Blockchain : un outil pour garantir la traçabilité
La blockchain permet une transparence totale dans la gestion des fonds publics. Selon PricewaterhouseCoopers (PwC), les pays ayant adopté des systèmes basés sur la blockchain dans la gestion des budgets publics ont réduit les détournements de fonds de 40 % en moyenne.
Selon une étude de la Banque mondiale publiée en février 2020, en moyenne 7,5 % des décaissements de l’institution au profit des pays en voie de développement sont détournés vers des centres financiers extraterritoriaux comme Singapour, les Émirats arabes unis ou Hong Kong. L’un des principaux problèmes auxquels les entreprises sont donc confrontées est la traçabilité et la transparence de leurs opérations. Si la blockchain avait été mise en place pour ces décaissements, sur 100 millions de dollars, jusqu’à 7,5 millions de dollars environ n’auraient probablement pas été détournés. À chaque étape de décision, les différents intervenants auraient approuvé la décision des autres participants, contrôlé chaque étape des opérations et contré tout acte frauduleux. Avec la blockchain, tous les intervenants sont non seulement des contributeurs à la base de données mais aussi des garants de la bonne gestion des fonds.
Au Togo, un projet pilote utilisant cette technologie pour surveiller les budgets municipaux pourrait empêcher des détournements.
Applications mobiles pour dénoncer la corruption
Avec un taux de pénétration des téléphones mobiles de 87,5 % selon le rapport de l’Autorité de Régulation des Communication Electroniques et des Postes (ARCEP), les Togolais pourraient largement utiliser des applications dédiées pour signaler la corruption. Par exemple, si seulement 5 % des citoyens utilisaient une telle application pour dénoncer des pratiques frauduleuses, cela représenterait environ plus de 300.000 signalements potentiels chaque année. Ces données pourraient être exploitées par des organisations comme HAPLUCIA pour prioriser les enquêtes.
Des modèles inspirants pour le Togo
Irembo est une plateforme numérique déployée au Rwanda pour moderniser les services publics et lutter efficacement contre la corruption. Depuis son lancement, elle a permis de réduire les cas de corruption de 70 % et d’économiser environ 15 millions de dollars par an en coûts administratifs. En rendant les services gouvernementaux accessibles en ligne, elle élimine les interactions physiques entre citoyens et fonctionnaires, souvent à l’origine de pots-de-vin, tout en supprimant le besoin d’intermédiaires.
Grâce à la traçabilité des transactions, chaque demande et paiement est enregistré, ce qui garantit une transparence accrue et facilite les audits pour détecter d’éventuelles irrégularités.
Au Ghana, Corruption Watch Ghana, soutenu par les programmes STAAC (financé par le DFID) et STAR-Ghana, est une initiative dédiée à la lutte contre la corruption publique au Ghana. Son objectif principal est de réduire les niveaux élevés de corruption en menant des actions médiatiques continues, en soutenant des réformes institutionnelles durables et en encourageant un changement de comportement tant chez les agents publics que chez les citoyens.
Pour prévenir la corruption, l’initiative sensibilise les citoyens et les fonctionnaires afin de promouvoir une culture d’intégrité et de réduire la tolérance envers les pratiques corruptives. Elle mise sur une persistance médiatique pour garantir le suivi des cas de corruption, éviter que les scandales ne soient oubliés, et pousser à des enquêtes approfondies accompagnées de sanctions. Sur le plan politique, elle plaide pour le renforcement des lois et des régulations afin d’éliminer les opportunités de corruption créées par des failles dans le système.
L’accent est également mis sur la restitution des fonds publics détournés, en soulignant les impacts négatifs de la corruption sur les populations vulnérables. Corruption Watch Ghana défend une approche stricte où les responsables corrompus doivent rembourser les sommes volées, avec des intérêts, afin de décourager toute récidive. Enfin, l’initiative prône des sanctions sévères et exemplaires pour dissuader les pratiques corruptives et rendre la corruption moins attrayante.
En 2023, cette approche a permis de récupérer environ 3 millions de dollars détournés grâce à des signalements citoyens. Une initiative similaire pourrait être mise en place au Togo, notamment dans des secteurs cruciaux comme la santé et l’éducation, où la corruption compromet directement les services aux populations.
La corruption coûte cher au Togo, mais la technologie offre une opportunité unique pour renverser la tendance. Avec des investissements judicieux et une volonté politique ferme, le numérique peut non seulement sauver des milliards de FCFA chaque année, mais aussi renforcer la gouvernance et améliorer la qualité de vie des Togolais. La technologie a sa part à jouer dans cette lutte.
Ayaovi DADZIE